Qui dira enfin la vérité sur la question du commerce des artifices de divertissement, appelé aussi feux d’artifices, qui sont -quelle surprise- des explosifs ? Comment pense-t-on sérieusement résoudre le problème lorsque tous les acteurs et tous les protagonistes se sont passés le mot pour se taire ? Chacun dans son rôle, avec sa parcelle de vérité, son confort de ne pas vouloir se rendre à l’évidence qu’il s’agit d’explosifs et que ces produits sont soumis à réglementation ; que prétendre vendre des explosifs sans en disposer ne résiste pas une seconde à l’analyse. Il existe une multiplicité de cas et de mobiles. Il va falloir que les différents acteurs acceptent de sortir de leurs rôles distinctifs. Les majors du secteur qui minimisent et qui font l’innocent, tout en participant activement à l’approvisionnement de cet underground. Les utilisateurs qui veulent le meilleur prix, peu importe le respect des textes et la sécurité de tous. Les micro entreprises trop heureuses, de montrer du doigt les salauds de petits patrons qui n’embauchent pas et tirent profit de leurs investissements. Les administrations qui traitent à l’aveugle les cas qui leur tombent sous la main –c’est-à-dire ceux qui sont déclarés-. Les petites entreprises qui paient les charges, leurs remboursements d’emprunt et essaient de se « débrouiller ». Les vrais tricheurs qui rasent les murs. Les amateurs inconscients mais intéressés. Etc…
Partons d’abord du principe, indiscutable, que nos frontières sont poreuses, surtout depuis la mise en place du marché unique et, plus récemment, de l’essor de l’e-commerce, moyen discret et efficace de contourner les normes et règlements. Un système qui tolère que certains s’approvisionnent clandestinement pour gommer quelques chômeurs est incohérent. Parce que entretenir une concurrence grâce à la fraude ne peut que nuire aux entreprises respectables et à leur personnel. Ceux qui on recours massivement aux importations frauduleuses déstabilisent les autres et c’est à ce stade qu’intervient le premier clivage : ceux qui fraudent sans scrupule et qui ne méritent aucune indulgence, et ceux qui fraudent avec scrupules ou sans le savoir mais qui rapportent de l’argent à la société.
Continuons ensuite par la mise en conformité des moyens pour exercer cette activité. Deux types d’entreprises pour l’administration : les petites –il y en a 500 environ le plus souvent sans aucun salarié- qui sont par définition –selon elles- absolument non conformes et les grosses –il y en a 3 ou 4- qui, elles, sont très conformes – en tous cas, l’administration fait comme si. Mais les petites, que l’administration surveille avec une rigueur qui frise le harcèlement, sont celles qui se sont mises en conformité. Avec des arguments taillés sur mesure : « Nul n’est sensé ignorer la loi, la sécurité n’ayant pas de prix débrouillez vous pour trouver l’argent pour payer nos exigences arbitraires. Et veillez à ne pas dépasser le timbrage de votre ICPE d’un gramme, sinon gare à la mise en demeure. » Les autres, les non déclarées, l’administration leur fout une paix royale et quand, malgré elle, elle doit constater des infractions ou des délits, c’est la bienveillance qui prévaut. Avec les mêmes arguments retournés : « Les pauvres, ils ne savaient pas, ils n’ont pas les moyens, ils font ce qu’ils peuvent, il faut bien qu’ils vivent, leurs stocks sont minimes, voire inexistants et en plus ils ne stockent que quelques jours par an. » Et pourtant il n’y a qu’une réglementation, la même pour tous. C’est à ce stade qu’intervient le deuxième clivage. Ceux qui, équipés réglementairement échappent aux réseaux des majors qui sont l’objet de contrôles répétés et ceux qui ne respectent rien, qui sont, pour la plupart, revendeurs des grandes marques et qui ne sont l’objet –au pire- que de vagues courriers administratifs, jamais suivis d’effets, leur expliquant régulièrement qu’il y a une réglementation. On croirait, pour un peu, que les grandes entreprises du secteur, à la gestion impeccable et emblématique (en tous cas officiellement), sont « encouragées » à employer ces sous-traitants peu scrupuleux. Elles vont même jusqu’à dire qu’elles sont au courant de ces dérives, mais « qu’elles n’y peuvent rien » si ce n’est « les aider » à se mettre en règle, mais « on ne peut pas les forcer »! Pendant ce temps le business continue.
Finissons par les questions lancinantes de savoir pourquoi plus de 90% des entreprises de pyrotechnie de divertissement sont hors la loi en France (ah ! l’exception française !), pourquoi tout un chacun peut vendre des artifices et même les introduire en France impunément, pourquoi les pouvoirs publics ne font rien ou si peu pour enrayer ces dérives ?
Un début de réponse réside dans le fait que notre domaine d’activité n’intéresse pas grand monde. Nous ne rentrons pas dans le radar d’analyse des pouvoirs publics. Notre rôle économique est trop petit.
Un autre élément de réponse réside dans le nuage de fumée envoyé par les majors de ce marché pour dissimuler la réalité. Car eux ont intérêt à maintenir en l’état ce système qui favorise leurs revendeurs.
Une troisième piste qui nous semble la plus importante est l’absence d’encadrement réel de cette activité pourtant une des plus encadrée qui est celle de l’explosif. La pyrotechnie de divertissement vit dans l’ombre des autres pyrotechnies. C’est une activité où on oublie –volontairement- le mot explosif pour ne parler que de « commerce », « art », « passion » et toutes sortes de choses émollientes.
Pourtant un aspect pourrait faire bouger les choses. Alors que les quelques sociétés sérieuses du secteur respectent un cadre légal très strict, les nouveaux acteurs se soustraient à toute législation sauf commerciale. Et la tâche leur est facilitée par l’absence de contrôle à l’entrée. Il suffit d’avoir un numéro de registre de commerce pour être « artificier ». C’est un peu court.
Je pense que les pouvoirs publics ne pourront pas rester inertes longtemps encore compte tenu du contexte de tensions internationales actuels et des risques multipliés par le foisonnement de dépôts sauvages partout en France. Souhaitons qu’il ne faille pas attendre, comme d’habitude, une catastrophe médiatisée pour que des mesures soient prises.